2022-01-14 |Parution | du nouveau volume des Cahiers d’études des cultures ibériques et latino-américaines

CECIL Numéro 8 (2022)

 Dossier thématique | L’ambassade Tenshō, entre croisements interculturels et entreprise médiatique

Gérard Siary, Michel Boeglin et Marie-Pierre Noël  (coords.)

En 1579, Alessandro Valignano, Visiteur de la Compagnie de Jésus aux Indes, arrive au Japon, chargé de réorganiser la mission jésuite d’Orient, qui, selon le traité de Tordesillas, relève de la sphère coloniale du Portugal. Comme maint voyageur avant lui, notamment François Xavier, il découvre un pays inouï, de mœurs altières, raffinées, ombrageuses. Avec l’aide de seigneurs baptisés de Kyūshū (sud-Japon), notre tour-opérateur avant la lettre a l’idée d’initier les néo-convertis nippons aux splendeurs de l’Europe catholique s’entend –, et de faire valoir auprès du pape l’importance de la mission jésuite au Japon et la nécessité de la soutenir. Il s’agit aussi et surtout pour la Compagnie de Jésus, d’obtenir le monopole de l’évangélisation sur ces terres, et ce face à l’arrivée des ordres mendiants et des bénédictins, qui arrivent dans le sillage des galions espagnols et portugais.

Comme le montrent les articles de ce volume, la fameuse ambassade Tenshō s’inscrit dans l’histoire de ce qu’on peut appeler un christianisme d’approche au sens où l’on parle de bouddhisme d’approche, car il ne s’agit de rien de moins que d’accommoder l’Autre afin de le convertir, de calquer son apparence en vue de mieux le déporter vers la foi catholique, de simuler la proximité morale à des fins de communication religieuse. À ce jeu-là, le catholicisme des jésuites est aussi plastique que le bouddhisme. Mais ce jeu de séduction, dissimule une autre feintise qui, elle, procure à l’Européen de souche l’illusion que tout un pays est en voie de conversion sous l’emprise de la Compagnie de Jésus et que l’entreprise mérite donc d’être fiancée, protégée, reconnue.La démarche chrétienne, au premier plan du De missione, engage une « Weltanchauung » d’où découle le mode de conversion. Le jésuite dresse une cartographie du monde qui repose sur une emprise de l’espace avant même l’emprise sur les esprits.

Le jésuite ne désespère pas d’approcher un monde aussi autre que le Japon. L’entreprise de conversion de cette terra nullius offre à la chrétienté une possibilité de renouvellement. L’enjeu est d’incorporer un corps de doctrine chrétienne à la société visée en l’accommodant sans y perdre la Croix. Le jésuite apprend à discerner la différence par mimétisme, en faisant comme l’autre, mais sans s’y perdre.


 

Dernière mise à jour : 15/12/2023